Intervention d'Yves AUREGAN sur notre dépendance à l'eau et en hommage à Bruno Latour, Conseil Angers Loire Métropole du 10 octobre 2022
Bruno Latour, qui est mort hier, parlait beaucoup de nos dépendances. Et quel meilleur exemple que l’eau et ses réseaux pour parler de nos dépendances ?
Nous avons vu cet été que l’eau redevenait heureusement une question politique. C’est d’ailleurs un excellent exemple pour montrer que notre liberté dépend de notre encastrement dans nos réseaux, en l’occurrence le réseau d’eau. Notre liberté d’utiliser l’eau n’existerait pas sans ces réseaux. Cela dépend aussi de nos associations d’humains et non-humains pour utiliser le vocabulaire de Bruno Latour.
L’approvisionnement en eau potable sur notre territoire dépend très majoritairement sinon totalement de la bonne santé de la Loire. Et la santé de la Loire ce n’est pas seulement sa pureté chimique c’est aussi les plantes, les poissons, tous les animaux aquatiques, les micro-organismes, les oiseaux, tout ce qui vit dans et autour de la Loire et qui constitue son écosystème et participe à son équilibre depuis la source jusqu’à son estuaire.
Autour de la Loire et de l’eau en général il y a des intérêts multiples : de l’eau pour boire, pour faire sa toilette, pour produire des légumes, du maïs, pour laver sa voiture, remplir sa piscine. Mais aussi pour que les animaux qui sont dans la Loire puissent aussi bien y vivre. Ces intérêts multiples génèrent nécessairement des conflits sur l’usage de l’eau et donc, de la politique.
Bruno Latour disait dans ses mémos que "l’écologie nécessite de bien définir qui sont les amis et qui sont les ennemis", car l’écologie divise et fait nécessairement advenir des controverses et des conflits.
Les écologistes veulent maintenir des conditions d’habitabilité de la planète et l’économie doit être au second plan. Cela n’est pas le cas pour tout le monde. Pour les producteurs industriels de masse par exemple, l’économie est première et l’état de la Loire est second. Ceux qui défendent l’arrosage horticole intensif se moquent bien de l’état de la Loire. Pareil pour EDF qui rejette de l’eau surchauffée dans le Loire. Pareil pour tous ceux qui déversent des pesticides qui s’infiltreront in fine jusque dans les cours d’eau, pour ceux qui rejettent des bouteilles plastiques dans la Loire, etc …
Ce qui complique un peu les choses dans cette lutte écologique est qu’elle est parfois un peu une lutte contre nous-mêmes. Devons-nous défendre le maintien d’une économie qui repose sur des pratiques qui dégradent notre eau pour le maintien d’une croissance à court et moyen terme ou défendre notre bien commun en péril pour la protection de toutes et tous en renonçant aux pratiques dont on sait qu’elles détruisent progressivement notre ressource.
C’est pourquoi Bruno Latour recommandait, pour régler ces conflits et faire la paix, d’inventer d’autres formes de démocratie où serait pris en compte, non seulement les intérêts des humains, mais aussi ceux du vivant, et de l’air et de l’eau.
Nous proposons que la maison de la transition écologique, prévue dans les Assises de la transition écologique, puisse servir de lieu d’expérimentation de ces nouvelles formes de démocratie écologique.
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